Genève, Slatkine, 2014, (avec Corinne Jaquet, Sandra Mamboury, Eric Golay, Luc Jorand)

“Ce livre peut se lire comme un bel exercice de styles (…) truffé de références ” – LE TEMPS

Cinq passionnés de polars. Une joyeuse bande. Tous proposent ici une histoire noire ayant pour cadre Genève. A chacun son style, son époque et ses personnages. Voici cinq nouvelles enlevées, inédites et bien contrastées.

Eric GOLAY, l’historien, nous entraîne dans les rebondissements d’un drame déroulé à Genève voici près de 200 ans. Corinne JAQUET, la populaire, visite le zoo d’Aïre en 1937. Luc JORAND, l’érudit, se demande qui pouvait en vouloir au vieil Ezéchiel. André KLOPMANN, le polygraphe, fait disparaître un industriel bigot mais pas réglo. Sandra MAMBOURY, l’effrontée, met en scène une pop star américaine au Stade de Genève fin juin 2014.

 

Premières lignes:

L’homme qui court. Histoire noire.

Il faut se méfier des visages trop expressifs. Le jeune policier affecté à l’enregistrement des plaintes en avait tant vu ! A force, il disposait comme d’un sixième sens. Souvent, le client volubile masque la part des faits qui ne lui donne pas le meilleur rôle. Rien de grave ; plutôt du véniel, en général. Mais quand, par exemple, on se fait tirer sa bagnole mal garée, on hésite à  dire aux flics qu’on l’avait laissée ouverte, sur une ligne jaune et les clés sur le tableau de bord. Alors, on rectifie. On enjolive. On arrange.

–  Je vous jure, Monsieur l’agent, elle était parfaitement fermée !

Sixième sens. Le « je vous jure » sonne creux. De trop. On sait cela, dans la police. Le marlou en fait des tonnes pour convaincre. Forcément : infichu d’exhiber ses clés, il improvise. Se justifie. Exagère les détails en nombre et en précision. Commente. Il devrait pourtant les avoir gardées, ses clés.  Mais non. Marco Steinauer savait décrypter ces zigotos. D’un regard, il leur faisait comprendre que c’était cuit. Que ça ne passait pas. Qu’il allait inventer autre chose. Ou, mieux, dire la vérité. Parfois les « victimes » repartaient alors les oreilles basses, marmonnant que, bon, elles allaient encore chercher, car après tout on ne sait jamais. C’était gagné. Enfin, presque gagné. Steinauer détestait perdre son temps et plus encore : il détestait les petits malins qui comptaient à peu de frais se payer la fiole de la police.

Il faut aussi se méfier des grands-pères patelins qui, les yeux de cocker, implorent l’estime – « tu me fais confiance, n’est-ce pas ? » – et à qui l’on n’ose dire que, franchement, non. Pas vraiment ou pas assez, mais non. La question vient le plus souvent après une longue approche. On s’est vus, on a dîné ensemble, on a fait risette avec les enfants le dimanche devant un barbecue. On s’est reniflé le cul comme deux clébard à la fête foraine mais ça ne suffit pas. Ça reste: non. Le problème, c’est qu’elle ne vient jamais immédiatement. Lorsqu’elle nous est posée, la question, on est déjà ferré. L’escroc évalue à 80% les chances que l’on réponde « oui, bien sûr » avant d’attaquer. Le taux justifie sa prise de risque. On pense « non », on dit « oui » et c’est cuit.

–       Une martingale d’enfer, je te dis ! Tu me fais confiance, au moins ?
–       Ben oui !

Madoff avait une bonne bouille avant de prendre 150 ans de prison.
(…)